
Le cheminement de Malika DORAY vers le livre jeunesse a été sinueux. Après des études d’histoire et d’ ethnologie et une année passée en Angleterre elle souhaitait devenir scénographe d’expositions. Logiquement, elle est entrée à l’Ecole nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (Olivier de Serres). Mais là elle a connu les difficultés de quelqu’un qui a envie d’apprendre à dessiner dans une école qui enseigne à des dessinateurs déjà accomplis. Surmontant sa déception, elle retirera de l’expérience des compétences solides en matière de conception de projets. Et, plus tard, dans son for intérieur, elle comprendra un peu ce que peuvent ressentir des enfants en échec scolaire.
Fille d’un psychanalyste et psychiatre, elle se souvient que son père appréciait et citait avec autant de sérieux Marx ou Freud ou Janosch, le célèbre auteur-illustrateur allemand :



Travaillant auprès de tout-petits pour des activités d’éveil, elle se lance dans des créations diverses, et elle, qui ne sait pas dessiner les humains, qui n’est pas du tout « Beaux-Arts », qui ne connait pas grand-chose à la couleur, va utiliser le peu de de vocabulaire graphique qu’elle connaît pour illustrer des textes aux formulations mélodiques, souvent répétitives comme un chapelet de formules réconfortantes.
« Je t’aime même quand je ne suis pas là »
Elle nous lit Je t’aime tous les jours, qui en 2006 fut son troisième album:

L’enfant tout-petit est le moteur et le partenaire de son travail. Car elle observe les petits lecteurs, qui interviennent sur l’objet, en ouvrant un livre de telle façon, en manipulant un tapis ou un doudou chacun à sa manière. Ainsi les enfants sont-ils, pour ainsi-dire, les co-créateurs d’une œuvre partagée.
SES TECHNIQUES, SES GOUTS, SON STYLE.
On discerne « les arts appliqués » dans sa façon de dessiner avec une expressivité qui vient du traitement de la forme et non des aplats, de la couleur ou de la perspective. Il y a une certaine virtuosité à créer un album au moyen de 8 faces de cubes ! A déployer des tas de bisous en mélangeant la tendresse et la mathématique ! A créer des ribambelles où chaque animal est à la fois pareil (la même forme) et différent de son voisin !


Pour elle, une image, c’est une dose d’émotion, une dose de couleur, une dose de calcul.
C’est un plaisir incroyable pour elle de jouer avec les motifs. Quand à force de répétition, comme, dit-elle, « un hamster dans sa roue », elle a trouvé le motif qui lui convient, de façon inattendue, c’est un vrai plaisir de le répliquer à l’infini.

Souvent, elle intègre, par collage ou copie, des imprimés chinois récupérés de la marque Petit Pan. Pourquoi ce choix ? Pas de réponse. De toute façon, le plaisir de faire s’impose à elle plus que l’introspection.

Elle se fait quasiment l’instrument des capacités motrices du petit enfant, d’où les sinuosités des contours, les répétitions, l’épaisseur d’un trait qui cerne et donne forme. Elle se fait vectrice de l’imaginaire enfantin.
Les textes, toujours très doux, sont écrits en même temps que les images sont dessinées. Elle parle d’une « rondeur texte-image » qui correspond à l’univers qu’on attribue souvent aux tout-petits.

Et donc elle crée des albums, des tapis, des doudous, qui sont les incarnations tangibles de ses rêves. Elle aime le beau papier épais des éditions MeMo qui protège des aléas des manipulations.
A-t-elle DES INTENTIONS, un projet ?
L’envie soutenue de partager une vision du monde est évidente, mais cela ne constitue pas un projet d’écriture ou d‘illustration. Elle raconte avec humour qu’après qu’elle eut écrit un album sur la naissance, puis un sur le mariage, un éditeur lui a demandé d’en faire un sur le divorce ! Proposition vivement rejetée, avant de s’apercevoir que tous ses albums ou presque parlent de séparation.
En réalité, pour créer quelque chose, il faut qu’elle ressente une poussée intérieure, quasiment inexplicable, de l’ordre d’une éclosion. Et elle a cette phrase tellement vraie: « Les tout-petits ont une part active dans le devenir du monde actuel, ils participent à faire grandir le monde qui nous attend », phrase qui fait écho à celle de Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. »

Les livres qu’elle nous a désignés comme importants à ses yeux recèlent des intentions humanistes.
Le premier cité, c’est Doris (2024), sur un texte de Coline IRWIN, une cousine, elle-même plasticienne et éducatrice de jeunes enfants.

Doris raconte le quotidien d’une dame fort âgée. Ce sujet sensible, inspirant, captive les jeunes lecteurs. Malika nous livre une anecdote bien représentative de ce qui peut arriver dans des séances de lectures. Comme Doris, cette vieille dame, tricote pour donner de quoi se vêtir à des migrants, un enfant de 4 ans s’est soudain levé pour crier : « Elle a pas le droit ! » D’où s’ensuivit un échange nécessaire et intéressant entre la médiatrice du livre et l’enfant.
Ensuite, Malika nous a présenté Ma mère est une panthère (2023).

Le premier album dans lequel elle a recommencé à dessiner des humains, qui cette fois lui plaisent. Dans ce livre, Malika aborde l’idée que les deux parents doivent assumer chacun l’entièreté des tâches d’éducation, protection, travaux ménagers, etc, au lieu de se les répartir de façon genrée.
Puis elle nous a montré Dans ce monde (2016) :

Un petit lapin nous offre un joli conte métaphorique, en passant par les différentes étapes de découvertes et d’apprentissages qui le mèneront à l’autonomie et le rendront bienfaisant pour le monde.
Et puis elle a montré Ce livre-là (2007),

qui est un pop-up à la gloire de la lecture, contenant l’évocation de onze sortes de livres, un pour rigoler, l’autre pour avoir peur, un troisième pour s’endormir, etc, etc.
et Chez les Ours (2011),

deux livres en un qui permettent au lecteur d’intervertir textes et images, de sorte que l’enfant « se crée » des saynètes étonnantes, parfois désopilantes.
Enfin, elle nous a parlé des livres d’éveil qui ont été retenus par divers départements comme des « albums de naissance » et offerts aux jeunes parents :
Quand ils ont su (2012, offert par le Val-de-Marne),

Un câlin (2014, offert par le Lot et la Savoie),

Dans la montagne (2020, offert par l’Isère),

Pour conclure, Malika nous a montré

qui est assorti d’un jeu :
Cet album concrétise tous les ressorts de sa démarche originale d’autrice-illustratrice : tirer parti de son expérience personnelle, prendre un vif plaisir au jeu des images et des mots, adorer les surprises, sortir de son confort et risquer l’autonomie. Au final, toute une création qui est un véritable éloge de l’enfance et un chemin de vie inspirant.
Nous remercions vivement Malika d’avoir partagé avec nous son expérience, ses techniques et pratiques, ses espoirs, ses idéaux et sa profonde conviction que la vie vaut d’être vécue.
Pour notre bibliothèque associative, nous avons acquis :
Le Grand Voyage des petites souris (L’école des loisirs, 2018)

Deux soeurs souris vont faire un grand voyage en laissant leur frère, pas du tout féru d’aventures, à la maison. Elles découvrent paysages et animaux magnifiques tandis que leur frère reste confortablement chez lui, jusqu’au jour où elles lui disent qu’elles vont découvrir un endroit secret…
