Retour sur une rencontre avec Agnès DOMERGUE le 7 mars 2024

     Agnès DOMERGUE, c’est l’histoire d’une enfant qui, longuement formée à la musique et à l’alto, se prend de passion, adulte, pour la littérature jeunesse. Deux lignes de vie se dessinent : une ligne droite et fixe, celle du métier, instrumentiste et professeure, et celle courbe de l’individualité, qui produit des images et des textes et balance au gré des inspirations.

Agnès, comme par inadvertance et pour s’extraire de l’alto, a commencé à dessiner des petites cartes postales. Puis sur un forum elle a fait des rencontres décisives avec Séverine VIDAL, écrivaine et scénariste, Anne-Gaelle BALPE, autrice et philosophe, Marie-France CHEVRON, autrice et conteuse, Hélène CANAC, illustratrice et scénariste, Cécile HUDRISIER, illustratrice, Valérie LINDER, architecte et plasticienne. Elle s’est donc engagée dans l’illustration de quelques livres, puis, ne se satisfaisant pas de ses productions d’images,  elle a basculé dans le statut d’autrice avec Les notes de monsieur Croche.

Un intérêt puissant pour l’Asie

Le livre suivant est donc Mee, petite fille du matin calme ( autrement dit : «  Beauté, petite fille de Corée »), qui positive l’acte d’adoption et transcrit le bonheur d’une enfance française. Agnès avait envie de s’exprimer et de lancer des messages, comme battre en brèche des idées reçues sur les enfants adoptés. Plus tard, elle étudiera la psychanalyse de l’enfant.

Agnès DOMERGUE navigue, en pensées ou en voyages, en allers-retours entre l’Occident et l’Orient, et, en Asie, le Japon est sa terre de prédilection. Elle y puise son esthétique, elle admire les pensées ciselées et les tracés décisifs du réalisateur MIYASAKI (Princesse Mononoké, film 1997).

Suit la trilogie des albums en haïku (Contes, Fables, Mythes), petits poèmes minimalistes, illustrés par Cécile HUDRISIER. Les images de Mon monde dans une goutte d’eau ont été un coup de cœur pour Agnès.

Les haïkus d’Agnès doivent être « comme des bonbons qui explosent de saveur », semblables à ces wagachis qu’elle adore. « Les idées simples sont les plus difficiles à trouver ».

Il y a aussi entre-temps le mélancolique texte Fragile (édit. Philomèle), illustré par Lydie SABOURIN sur un fin papier original, et qui est un conte philosophique sur les regrets et les espoirs.

La forme du haïku aura permis de faire cristalliser des textes très esthétiques, raffinés, ciselés, et pourtant légers comme la vapeur.

L’évolution : De la musique à l’illustration puis à la poésie

Ainsi une part d’elle-même est-elle passée de l’univers de l’interprétation musicale au monde de la création littéraire. Comme un défi, un challenge, un moyen d’exercer sa liberté.

Le livre lui permet de s’échapper. Car la musique a son langage propre ; elle oblige à une rigueur extrême pour rendre ce que le compositeur a voulu.

Le but est de «  trouver un équilibre »   entre le métier qui formate dans sa rigueur et la création qui permet de se décaler.

Créer avec les autres

Agnès DOMERGUE n’est pas une artiste solitaire. Bien au contraire, elle nous affirme aimer les rencontres avec les autres, collaborer, mutualiser les efforts, former avec ses illustratrices des binômes fertiles.

Sa capacité de création dépend  largement de la relation qu’elle noue avec la co-créatrice qui l’illustre. C’est bien le cas pour  Idylle, texte qui prend son vrai sens grâce aux images qui, mieux que lui, savent rendre «  l’émotion à fleur de peau, la naïveté, le lâcher-prise.

D’après Agnès, une illustration modifie le texte en profondeur. C’est pourquoi elle a décidé de ne travailler qu’avec des illustrateurs qu’elle a choisis et s’oppose au principe du choix de l’illustrateur par l’éditeur.

Ainsi, Petits mondes a été « tissé »  avec Clémence POLLET.

L’autrice impose son dessein, l’illustratrice son dessin, et le rapprochement mutuel est gagnant.

L’écriture poétique et la musique des mots

Elle se décale, certes, mais elle est habitée par la musique et donc l’emporte avec elle pour créer de la poésie.

Un livre, Les notes de monsieur Croche, où il est question de l’alto, a été mis en musique. Même chose pour La Symphonie des couleurs, qui a été jouée en conservatoire. Dans cet album, Agnès DOMERGUE, sur la base de la synesthésie, décrit une expérience sensorielle où les sons et leurs couleurs s’unissent pour former des tableaux d’artistes.  

Animal Totem aussi a été mis en musique partiellement, avec des petites mélodies qu’elle a créées pour les séquences poétiques qui figurent dans chaque page.

Agnès chante:

« La lune est ronde ce soir, Ronde comme les yeux de Hibou, Et dans le reflet de ses yeux immenses, Il y a…la lune ».

Pour elle, certains mots sont des sons, et les sons, des émotions. D’où une répartition dans la page où le texte narratif est suivi d’un texte poétique : récit et musique.

Elle lit Idylle (illustré par Valérie LINDER), poème qui joue de la sonorité des mots, au moyen d’allitérations et d’assonances. «  Il a une île. Elle a deux ailes, Il a le teint frais, elle a les joues fraise »… »

Tirée d’Animal Totem, elle nous lit aussi Araignée : « Elle tisse le vide, Elle brode Entre dentelles et tarentelles ». ».

Paradoxalement, elle, qui est dans la joie d’écrire, produit souvent des phrases un peu tristes ou mélancoliques. C’est aussi ce qu’elle aime en musique, des harmonies vibrantes de nostalgie, comme dans le 3ème mouvement du Quatuor avec piano de Robert Schumann (opus 47), qui est sa pièce favorite.

Pour elle par ailleurs, le sens n’existe que si l’interprétation est juste, que ce soit celle d’un lecteur ou celle d’un instrumentiste. La lecture orale n’est pas seulement un véhicule de transmission d’une histoire. Elle existe aussi en tant que succession de phrases détachées du sens. Agnès cite l’exemple d’un enfant qui lui demandait de lire les notes de ses partitions. Ainsi la lecture orale est-elle déjà une musique, « elle est une parole offerte » qui emmène ailleurs.
Cette poésie porte à la méditation.
L’herbier philosophe, qui a reçu le Prix facile à lire en Bretagne, et qui a plu à tous les âges, est inspiré du « koan , outil que le maître zen fournit à ses disciples pour qu’ils aillent méditer ».

« Est-ce que l’arbre coupé dans la forêt fait du bruit si personne ne l’entend  ? »

Chaque petit poème est destiné à provoquer « une étincelle d’éveil ». On est loin du haïku.

Les noms de fleurs, quand ils sont imagés, portent à méditer. Elle nous lit :

« La pensée :  Si je te demande de ne penser à rien, A quoi penses-tu ? 

L’immortelle : On meurt d’avoir vécu. Les immortelles sont-elles vivantes ? »

Agnès médite sur le sens de la vie. Elle a ainsi produit un livre-accordéon, qui se lit recto-verso et qui s’enroule si on veut autour de celui qui l’écoute : « La balade de Koïshi ». La vie, un éternel recommencement, grâce à telle petite chose qu’on garde dans sa poche. Elle est fière de cet objet-livre.

Sa quête, ses projets

A raison d’environ un livre par an, la production d’Agnès DOMERGUE suit le cours calme d’une carrière d’écrivaine qui n’a pas besoin d’aller plus vite puisqu’elle a un métier de base qui la fait vivre.

Ses albums semblent se succéder comme si telle nouveauté était la fille de l’œuvre précédente : quadrilogie des haïkus, trilogie philosophique, bandes dessinées à rebondissements,… Elle ne veut pas s’engager dans des séries, mais plutôt naviguer dans ses propres courants porteurs. Sa personnalité, profonde et attentive, la porte à guetter les signaux que d’autres lui envoient, ces autres que sont ses illustratrices et amies, les personnages des mythes, les compositeurs qu’elle aime, et les enfants avec leurs personnages de prédilection, comme le kitsuné, messager divin.

Pour terminer son exposé, Agnès nous a lu le début de sa bande dessinée « D’ambre et de feu «  (illustré par Hélène CANAC) : «  Il est un pays d’automne, fait de pierres, de bois et de terres… »

Au gré du vent

Chacun n’est rien d’autre

Qu’une âme envolée

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