Catégorie : Retour sur une Rencontre

Nos retours sur une rencontre avec un pro de la littérature jeunesse (autrement appelés « retours sur image »)

Retour sur une rencontre avec Florian PIGÉ, le 8 février 2024

avec le concours de Benoîte VANDESMET pour l’animation de la séance.

Les apprentissages

        Florian Pigé nous a parlé avec plaisir de l’Ecole de dessin qui l’a formé en cinq ans et dont il est sorti avec un diplôme d’édition en poche. Il s’agit de l’Ecole Emile Cohl, située à Lyon, où l’on enseigne une multitude de matières, où l’on inculque rigueur et exigence, où l’on oblige à travailler d’arrache-pied. Dans cet univers contraignant, il a trouvé l’espace de liberté et de créativité qui lui était nécessaire. Et maintenant, il y est devenu professeur…

La période numérique

C’est en utilisant les outils numériques que Florian a débuté une carrière d’auteur-illustrateur. C’était sécurisant et en même temps cela satisfaisait un goût personnel.

Ainsi, Florian a montré deux albums écrits par Morgane de CADIER et publiés en 2017 :

  • Le secret du loup, qui est la  jolie histoire d’un loup mal aimé sauvé par un enfant  qui lui apprendra la douceur de vivre.
  • Quant à Chut ! c’est la fable de la rencontre entre un personnage ronchon et un oiseau plein d’optimisme : là encore, une leçon de vie.

Florian Pigé nous a dit que Chut ! est, de tous ses livres, celui que les enfants préfèrent, notamment grâce aux nombreuses récurrences de jeux sur le « chut ».

Dans les deux ouvrages, le style des illustrations a été très influencé par le style du canadien Jon KLASSEN, dans la façon par exemple de « silhouetter » les personnages.

Voici une image de Klassen:

Et voici celles de Florian:

Avec ces deux albums, Florian Pigé dit avoir clôturé définitivement sa période numérique.

Puis il nous a parlé de sa trilogie de 2018 : Si petit, si gourmand, Si curieux.

Ce sont les seuls albums qu’il ait réalisés entièrement  pour les tout-petits.Ecrits pour la Foire de Bologne et qui n’y ont finalement pas été envoyés. La nouvelle technique, c’était de traiter de grandes plaques de gomme, de les découper au scalpel et de s’en servir comme tampons encreurs.

Ici Florian a réalisé des objectifs qui lui serviront de guides pour la suite : exposer certains rendus de matières, obtenir certaines textures, aboutir à des images simples et épurées. 

Il lui fallait en même temps réussir des challenges techniques, comme représenter le chemin de la nourriture vers le bec du perroquet dans Si gourmand :

Dans les contenus, les notions de partage, d’amour de la nature, de curiosité étaient déjà là, et bien sûr les petits lecteurs n’ont pu que souscrire à toutes ces gourmandises.

Le dire de l’intime assumé

Florian Pigé  raconte essentiellement sa propre enfance dans ses textes.

A preuve, Bulle d’été, un album « dédié à la douceur de l’ennui et au plaisir de rêver ».

C’est une autobiographie à 100 %. Les anecdotes de l’enfance, il les a transformées en des sortes de courts-métrages et leur compilation ramassée en une seule journée d’été forme l’album. Moments de méditation, de dessins sur le sol, circuits à vélo, à l’écart des adultes et même des autres enfants. Cet ouvrage a requis de nombreuses heures d’élaboration, afin que le rendu du passé soit à la fois très exact et très vivant.

Mais douceur et quiétude ne sont que les premières phases d’une histoire  où

le fantastique fait toujours irruption dans le quotidien.

C’est ce qui se révèle dans trois albums récents qui sont des projets purement personnels : Extraordinaire (2021), dédié à l’auteur de Jiumanji, Le Livre de la jungle (2022), et Protéger le blibulle (2023).

Il s’agit toujours de survivre dans un monde condamné, hostile ou post-apocalyptique. Comme sauvegarde , Florian Pigé met en avant des constantes : la contemplation, la poésie et la présence animale.

La singularité est que le fantastique chez Florian Pigé se présente comme la forme floue et nette à la fois d’une image qui nous reste d’un rêve qu’on viendrait juste de faire. Il surgit de soi-même et ne vient pas de l’extérieur. Les bribes des rêves, par exemple des visions de ptérodactyles, ou encore la réminiscence d’un petit robot, habitent donc l’esprit, sont des images « matricielles » et peuvent se concrétiser sous la forme de dessins.

Dès lors, le héros, qui est aussi le dessinateur, est mis face à ses responsabilités ; Il doit se débrouiller seul pour s’en sortir. L’auteur et le dessinateur sont dès lors en phase pour construire une narration, dont le fonds est toujours le même et l’apparence toujours différente.

Medium, matière, lumière

Tandis que Florian Pigé développe ce qu’il appelle ses « marottes » narratives, il entretient soigneusement ses « idées fixes de dessinateur », qui s’imposeront quelle que soit l’histoire.

« Le rendu des matières et le rendu de la lumière »  sont les objectifs constants de ce jurassien de la forêt de Chaux.

Aussi, désormais, et peut-être pour renouer avec une pratique de l’enfance, l’usage des crayons de couleur s’est imposé à Florian. Ce sont des outils efficaces et qui produisent une texture particulière. La technique est de superposer des traits de couleur pour réaliser des nuances, des contrastes, des ombres. Le rendu est tellement plaisant et les jeux de couleurs si variés qu’il faut parfois dans l’album ménager des « moments de respiration » avec des pages sans texte.

Pour améliorer ses rendus de lumière, comme par exemple ceux d’un coucher de soleil, Florian étudie les tableaux des grands maîtres,  et leurs procédés, comme la tempera. Mais il ne lui suffit pas de restituer de la lumière, encore faut-il la situer dans le moment de la journée où se déroule l’histoire, et mieux encore, la rendre telle qu’elle est depuis l’endroit d’où on la voit, en étant, soit le héros de l’histoire, soit l’illustrateur.

Son prochain livre sera tout entier centré sur la lumière.

Les retours de l’assistance :

Florian Pigé dans son exposé a eu le mérite de la sincérité et celui de faire confiance au public de ses lecteurs avérés et potentiels. Investi par sa propre enfance, il en tire des ressorts puissants qui lui permettent d’avancer et de se renouveler sans trahir son identité profonde marquée par le souvenir, la contemplation, le merveilleux, l’inattendu et la victoire sur l’isolement.

Merci à Florian Pigé de nous avoir fait partager son univers !

Retour sur une rencontre avec Satomi ICHIKAWA, le 16 janvier 2024.

Retour sur notre Rencontre avec Satomi ICHIKAWA,

mardi 16 janvier 2024, Eaubonne, Val-d’Oise.

Pour illustrer son propos, Satomi ICHIKAWA s’est appuyée sur plusieurs de ses albums :

Les voitures de Jibril ; Accroche-toi à maman ; La fête de la tomate ; Y-a-t-il des ours en Afrique ; De la glace aux pommes de terre ; Croc-Croc Caïman ; La vraie place des étoiles ; Ma chèvre Karam Karam ; Mon petit cheval Mahabat ; Mon plus beau cadeau, c’est toi.

Ecouter Satomi ICHIKAWA nous raconter son parcours de vie, c’est comme entendre résonner une ancienne chanson qui raconte le départ volontaire, courageux, définitif,  d’un village natal. Pour elle, c’était un village japonais ennuyeux où se déroulaient des vies paysannes, nobles certes mais sans perspectives. Après y avoir travaillé et avoir économisé le prix de son départ, Satomi a lâché les rênes de sa curiosité, une vertu bien utile, et qui la mènera tout autour de la Terre. Elle a filé vers les puissantes cités de l’Occident. Ce fut un tour de force, et il dure depuis cinquante ans.

Pour pouvoir aller à la rencontre du vaste monde, il fallut apprendre bien des langues: l’anglais, le français, l’italien, l’espagnol, l’arabe, le swahili, etc. Il fallut se cultiver, et maintenant Satomi vit au coeur d’une bibliothèque de 3000 livres. Il fallut se consoler ou se réjouir avec une centaine d’ours en peluche et autant de jouets reçus d’enfants de par le monde.

Insulaire d’origine, Satomi a recherché les continents. Et le premier ce fut l’Europe, l’Angleterre, l’Italie, et puis elle a jeté l’ancre dans un port : Paris, ville de haute civilisation, belle, raffinée, où on peut parler de tout sans entraves. Et de là, elle rebondi vers l’Afrique, l’Asie, l’Inde, les Amériques…

Il a fallu trouver un métier pour vivre dans cette capitale exigeante et dure : jeune fille au pair, cela ne dure qu’un temps. Or Satomi ne savait qu’une chose : dessiner. Spontanément, sans avoir suivi aucun cours dessin. Naturellement.

Un éditeur anglais, puis des éditeurs français l’ont consacrée illustratrice. L’expérience dure depuis cinquante ans, avec des bonheurs, la découverte des images de Boutet de Montvel, le succès de la série des « Suzette et Nicolas » chez Gautier-Languereau.

Mais on a beau croquer les enfants au Luxembourg, dessiner des animaux d’après photos, on finit par tourner en rond. Et le mouvement qui enlève, transporte, excite, c’est ce dont Satomi a besoin, et qu’elle voulait transcrire. Elle est donc partie vers des lieux qui bougent. Car, dit-elle,

« Le voyage, c’est le seul moteur pour ma survie ».

Elle est allée depuis lors vers les beautés éternelles des savanes du Kenya, du Sahel, de l’Amérique latine, vers les cottages anglais peuplés d’animaux disparates, vers les Etats-Unis, vers l’Inde, partout, et toujours dessinant ; avec un petit bagage : un sac avec des crayons, des pinceaux, une petite boîte d’aquarelles, une fiole d’eau, des cahiers.

En tous pays, si l‘on sait voir, orienter son regard vers l’essentiel, il y a des animaux, des enfants, un univers dont les valeurs sont éternelles : vraie simplicité, spontanéité, vérité des gestes et des démarches, naturel, élégance. Tout ce que l’on a croirait perdu à jamais, elle le voit, elle le trouve et elle estime normal de le montrer aux autres. Elle dit encore:

« Vivre avec la nature, ce n’est que de la poésie ».

Ses sujets, ce sont d’abord des images : des attitudes d’enfants (qui sautent, se balancent, montent à cheval, jouent ) ; des scènes ; des animaux (elles les multiplie en troupeaux tant elle a plaisir à les dessiner) ; des fruits ( un prochain livre sera consacré aux kakis ); les éléments, la surface de l’eau, la pluie qui ruisselle, le soleil qui dore les peaux et les objets.

Le sujet, c’est l’universel ; en tous pays, les enfants sont pareils. Partout les enfants lui font des cadeaux qu’elle collectionne comme des trésors. Partout les objets sont vivants.

Son enthousiasme pour la beauté est sans fin. De notre Monde elle montre la jeunesse inépuisable.

Son projet : communiquer, faire voir la réalité, « la vie, la vie, comme ça ».

Pour conclure avec des retours d’impressions de l’auditoire :

Satomi ICHIKAWA s’est construit un destin atypique, et elle le mène avec une persévérance sans faille. Toujours émerveillée par la vie et par les êtres, elle semble n’avoir jamais quitté son enfance. Simple, humaine, touchante, elle a la candeur lumineuse de ceux qui, cherchant la vérité, se satisfont des paillettes découvertes au hasard, et qui pensent que «  les étoiles sont encore à leur place ».

Merci, Satomi, pour votre confiance et vos transmissions !

Retour sur une rencontre avec Marianne BARCILON

Retour sur la Rencontre avec Marianne BARCILON

mardi 12 décembre 2023, Eaubonne.

 C’est une intervenante pleine d’énergie et passionnée par son travail que nous avons accueillie, et cette Rencontre en a été colorée d’une ambiance joyeuse et bienveillante.

Marianne BARCILON est une vraie professionnelle de l’illustration jeunesse. Déjà diplômée des Beaux-Arts, elle s’est formée aux Gobelins dans les métiers de l’image et s’est spécialisée dans les effets spéciaux. A ses compétences artistiques elle a ainsi ajouté deux cordes, l’organisation et l’efficacité.

Ne marchandant pas son temps, elle a depuis toujours créé des images en grand nombre, seule ou avec ses enfants. Quand enfin elle parvient au juste trait, ses doutes tombent, elle se sent sûre d’elle et contente de son travail. Pas étonnant que les éditeurs donnent carte blanche à quelqu’un qui utilise à si bon escient son talent, son imagination et sa liberté.

Les animations d’ateliers scolaires lui permettent d’ajuster sa vision. Car le regard des enfants est impitoyable et ils n’ont pas la langue dans leur poche pour réfuter des personnages non véridiques ou contester le nombre des nains !

Illustrer, c’est une responsabilité d’auteur. Les images désignent ce que les mots ne disent pas, les contextes, les causes et les effets. Elles sont une deuxième narration.

Illustrer, c’est intégrer les contraintes fortes de la composition. Ne serait-ce que respecter le nombre de pages prévu, toujours un multiple de 8, soit 32 ou 40. Or le texte est déjà là, pré-existant, imposant son propre rythme. Et les interactions illustrateur-auteur – les arrangements –  sont très rares, tant pis ou tant mieux.

Quand Marianne écrit et illustre à la fois, il lui faut donc une double imagination et une maîtrise des ajustements. De plus, il lui arrive de concevoir plusieurs albums en même temps. Et comme chaque album lui prend maintenant environ quatre mois, on peut dire qu’elle travaille sur le temps long et que son imaginaire est strictement géré.

Marianne pourrait s’isoler dans sa tâche, mais ce n’est pas dans son tempérament. Il lui faut des rencontres avec des confrères, des ateliers, des moments de partage, du mouvement, de l’énergie.

Où puiser ? Dans les sources d’inspiration que sont les grandes références, Tomi UNGERER, Maurice SENDAK, par exemple, mais pourquoi pas aussi chez certains contemporains, ou tout simplement dans ce que l’on voit de nouveau tous les jours ?

Au quotidien, c’est une véritable banque d’images que Marianne BARCILON s’est constituée au fil des années : dans ses innombrables carnets de dessins, on trouve les gens rencontrés dans le métro, qu’elle a croqués à la dérobée, et puis tout ce qui passe et qui est vivant, des humains, des animaux. La sorcière Rabounia est une femme terrifiante qui existe donc quelque part !

Quant à ses hérissons (ceux de Pourquoi moi j’ai jamais de calins), ils logent sous son atelier…

Mais les prélèvements dans l’environnement ne suffisent pas. Tout doit être étayé culturellement.

Marianne, qui travaille à l’ancienne, « comme au Moyen-Age », sans ordinateur, ne dispose que d’une boîte d’aquarelles et d’un pinceau à réservoir. Armée de ce modeste attirail, elle effectue des recherches incessantes, dans les bibliothèques, les encyclopédies, les musées, France-Culture, les vieilles photos, les souvenirs (« la couette de ma grand-mère est devenue la couverture de Nina »).

Par exemple, se penchant sur la sorcellerie, elle a épluché grimoires, recettes, gravures, procès-verbaux, etc. Sur le thème du hérisson, elle a étudié la représentation du hérisson aux temps passés. « Ce n’était pas indispensable », dit-elle, mais l’acte de création alimente chez elle une immense soif de savoir.

Cette « avidité » engendre sans fin des histoires. Par exemple, dans Rabounia, les histoires que la sorcière va devoir traverser en s’extrayant de son propre livre ; ou, dans Jean-Poil et Poiss-Kaï, le récit qui se démultiplie avec les histoires que le poisson va raconter au chat.

Quels ressorts pour une telle activité ?

Il y a le désir de servir les enfants, les siens, ceux des autres ; l’envie de les faire progresser, d’activer leurs intelligences, de les initier aux différents niveaux de langage, de les rassurer sur leurs capacités, de les amuser, de leur donner le goût d’être eux-mêmes.

Un projet ? Aller dans des histoires décalées, et poursuivre le travail entamé avec Elodie FONDACCI pour ses Histoires farfelues d’orthographe, « une série ludique, maline, intelligente »:

Notre Rencontre s’est joyeusement achevée dans un atelier de dessin collectif.

Merci à Marianne d’avoir déployé sa bonne humeur et son énergie pour nous faire entrer dans son histoire. Une histoire semée de doutes vaincus par des certitudes exaltantes.

Retour sur une rencontre avec Didier LEVY

Second invité de notre saison 2023-2024 : Didier LEVY, auteur jeunesse prolifique de près de 200 titres, et illustrateur depuis peu, est un ex-journaliste tombé pour toujours dans le monde des histoires. Notre rencontre a eu pour thèmes son métier d’écrivain, son point de vue sur l’illustration et sur le sens qu’il donne à son engagement dans la littérature jeunesse. Voici les albums qu’il a choisis pour illustrer son propos : La fée Coquillette, Le jour où j’ai bien failli perdre ma couronne, Aspergus et moi, Le superpouvoir des chansons, Le superpouvoir des histoires, Hanabishi, Avec Mona et Après le cirque.

Didier LEVY nous a d’abord parlé, avec sincérité et intensité, de son travail quotidien d’auteur.

Ecrire, c’est un chemin d’invention ; tandis qu’on est dans la vie et dans la relation à autrui, on est en même temps à l’œuvre dans son propre monde, sa propre bulle. Il faut arriver à vivre cette superposition, et ce n’est pas toujours facile. Car en son for intérieur, et sans relâche, on bâtit progressivement une histoire, on cherche des continuités possibles à ses épisodes, les voies qui vont mener jusqu’à une fin qu’on a prévue mais dont on ne sait au départ comment on va y arriver. Ce sont donc d’incessants questionnements, des recherches de solutions. Ce sont des repentirs, des reprises, des bonnes idées qui se révèlent erronées, des idées fumeuses qui se révèlent efficaces… un travail perfectionniste, qui laisse pourtant de la place à l’improvisation.

De telles difficultés sont compensées par l’excitation d’avoir trouvé l’idée juste qui fait rebondir, qui redonne de l’élan, et par l’enthousiasme d’avoir au fil du travail pu « faire résonner en soi l’écho de sa propre enfance ». C’est ce monde qui est enfoui mais qui n’est pas perdu pour autant, que l’auteur recherche ardemment et avec opiniâtreté. Ainsi l’écrivain, « se servant tantôt du cerveau gauche de la raison et du cerveau droit de l’intuition », est-il un alchimiste, à la recherche d’une magie, et toujours en quête de pépites.

Pourquoi écrire pour les enfants ? 

D’abord parce que les enfants possèdent « d’immenses capacités de créativité, leurs têtes sont des boîtes à outils  avec des capacités d’imagination infinies, et il faut alimenter cette machinerie fantastique ». De plus ils ont un avantage sur les adultes : un esprit naturellement critique, qui les aide dans leurs choix.

Une autre raison, c’est qu’en écrivant pour eux, on trouve des solutions à ses propres problèmes. Car l’enfant qui demeure en nous « ouvre des portes sur le champ des possibles ». Et ce faisant, on est de soi-même le premier lecteur, qui se surprend, s’émeut et s’amuse.

Didier LEVY nous a tous invités à écrire comme lui des histoires pour enfants, pour leur faire du bien, et pour nous en faire à nous. Il affirme que la créativité existe chez tout un chacun. Il suffit de s’y mettre, et de consacrer à la tâche le temps et l’attention suffisants.

Un album qu’il nous a lu, une histoire tendre entre deux réputés cruels, un mini-roman, avec des péripéties menant à une rassurante et bienheureuse conclusion.

A une question sur les auteurs et illustrateurs qui l’ont influencé ou bien ceux qu’ils aiment particulièrement citer, Didier Lévy nous a répondu par une ellipse : « tous les auteurs des livres que j’ai croisés dans ma propre enfance ». Et puis il a quand même cité pêle-mêle Maurice SENDAK, Philippe CORENTIN, Béatrice ALEMAGNA. Il a donné sa préférence à l’illustrateur André FRANCOIS, dont le Centre culturel de Margny-lès-Compiègne – dédié à l’album et à l’illustration – porte le nom.

(repéré au Salon de Montreuil 2023 – librairie des livres rares)

Les albums de Didier LEVY ont été illustrés par de très nombreux artistes, au gré non de ses demandes particulières, mais des desseins des éditeurs, eux-mêmes très variés ; cette variété ne lui a pas posé de problèmes. Il fait confiance entière à ses illustrateurs, des interprètes qui se sont approprié la matière. Pour lui, l’illustrateur n’est pas un créateur en second, mais est un véritable co-auteur. Et donc, lorsque l’un de ses textes est illustré, le livre initial – qui n’était en somme qu’un projet –  n’existe plus, puisque le véritable livre est né. Il est « le résultat d’une chimie intime texte-images ».

Mais c’est lorsque Didier a affirmé que l’illustration, de toutes façons, était plus importante que le texte, comme la musique d’une chanson compte plus que les paroles, qu’un – aimable – débat s’est engagé dans la salle. Certains ont dit que le texte était la matière principale, que les mots avaient leur propre musique, que le langage suscitait de soi-même des images mentales qui pouvaient même supplanter les illustrations. D’autres ont dit qu’ils lisaient tantôt en montrant les images, tantôt sans les montrer, ce qui démontrait l’importance égale du texte et de l’image.

Au service de sa thèse, Didier LEVY a affirmé que les textes sont « les écrins des images qui se développent ». La collaboration avec Pierre VAQUEZ, graveur en taille-douce à la manière noire, a été un vrai bonheur. Comme si l’extrême difficulté de ce technique, la lenteur de l’exécution – trois semaines ou un mois pour une seule image – le fait que du noir surgisse la lumière et qu’on obtienne à la fin cette douceur veloutée, c’était l’équivalent – ou la métaphore –  du travail artisanal de l’auteur d’histoires.

Didier LEVY acquiert de ses expériences multiples qu’on a intérêt à être auteur-illustrateur ; et c’est pourquoi il a créé tout seul l’album « Après le cirque ».  Il nous a lu cet album.

Il nous a donné des clefs pour bien user des textes : lire lentement, mettre à la lecture de l’engagement, de l’ardeur. Car « un bon texte c’est le rapport entre ce qu’on raconte et ce qu’on laisse deviner ; c’est un texte qui laisse le plus possible de place au lecteur sans pour autant le perdre. » Le lecteur prendra donc son temps pour que s’éveille doucement la conscience des auditeurs.

De Didier LEVY, nous conserverons l’image d’un homme authentique, exigeant, complexe, singulier, toujours efficace. Nous mettrons cette image au regard de ses albums, limpides, fluides, heureux, plaisants.  Nous y trouverons tout ce dont nous avons besoin pour faire aimer les livres aux jeunes enfants : humour, surprises, espoirs, images d’une vie meilleure.

Merci à Didier LEVY pour sa totale implication dans une séance qui nous a nourris.