Ilssontvenusà deux, l’éditeur et l’auteur, Marc WILTZ et François-Xavier FRELAND, des gens de mer et d’expérience, l’un du Havre, l’autre de Nantes. Un binôme efficace, persuasif, dont les discours se sont imbriqués, complices d’un même projet.
Leuridée, c’estde cultiver une curiosité anticonformiste et donner l’envie de la renouveler par le voyage, par ce déplacement non-touristique qui porte à aller vers autrui et vers d’autres lieux du monde, proches ou lointains. Ce voyage-là est réel ou imaginaire, circulation dans les quartiers, les provinces, les pays étrangers, ou immersion dans les récits des grands voyageurs.
MarcWILTZ,quia déjà publié 400 ouvrages aux éditions Magellan & Cie, crée des collections dont les intitulés titillent l’imagination : Heureux qui comme, Miniatures, Pour l’amour de, Nous les loups, nous les ours, Le tour du monde en 80 livres.
François-Xavier FRELAND, grand reporter, vient de sortir son premier roman pour la jeunesse : L’Arbre des voyageurs. Il nous en parle longuement en insistant sur le principe qu’il faut savoir qui l’on est pour savoir où l’on va. Il y dévoile sa passion pour les légendes, l’irrationnel, la magie, le lien aux anciens et aux esprits, réalités si présentes à Madagascar et en Haiti, et au-delà pour une spiritualité fondée sur le respect des cultures et la protection de la nature.
Tous deux citent des auteurs: Maupassantpour son voyage en Sicile, Lamartine pour le sien en Grèce, et puis Miller, Duras, Céline, Proust, Kessel, Monfreid, Saint-Exupéry, Leiris.
Ilsnouscitentdestitresoù les jeunes de 10/15 ans pourraient trouver des moyens de se forger une belle identité humaine: Le phoque blanc (Kipling), Transatlantique (Stefan Sweig), Les trois voyages du capitaine Cook (Jules Verne), et pour les 15/18 ans : Les Immémoriaux (Victor Ségalen), Elle rêve avec moi et Je suis né deux fois (Alain Kalita), L’Africaine blanche (Marc Wiltz), Le dieu des petits riens (Arundhati Roy).
MarcWILTZinsistesursa collection Miniatures, dont les nouvelles contemporaines, écrites par des auteurs de pays très variés, intéresse les enfants issus de cultures lointaines en leur faisant découvrir que leur pays d’origine fabrique lui aussi de grands auteurs auxquels ils peuvent s’identifier.
Avec le dynamisme que nourrit leur intime conviction, nos deux intervenants disent chacun la même chose : Il faut rendre hommage à la vie, donner à comprendre, donner à aimer, on ne peut pas tout garder pour soi. Les jeunes sont curieux, ils s’intéressent, il faut croire en leurs capacités. Des éditeurs de voyage comme Magellan & Cie les initient par le livre et par les récits aux réalités de la vie et aux chances qu’elle procure. Plus tard pourront advenir les engagements fondateurs qui scelleront leur réussite d’hommes et de femmes, telle celle de Germaine Le Goff la grand-tante de Marc WILTZ.
Martine PERRIN, à notre surprise, s’est présentée comme une architecte et non comme une illustratrice, une graphiste ou une autrice. Pour elle, les livres sont travaillés comme des architectures, des objets de design, des portes, des façades. Ainsi, un trou dans un livre est-il une fenêtre, un personnage de pop-up est-il un habitant. Son travail, conceptuel et de façonnage, est marqué par la rigueur de l’urbaniste et du géomètre.
Son inventivité, qu’elle nomme « bidouillage », et qui part en effet dans toutes les directions, s’affranchit des canons de l’esthétique et de la thématique. Elle garde la haute main sur ses créations, impose ses vues pour la disposition des éléments textuels ou imagés.
Et comme Martine PERRIN est douée d’humour et de verve, comme elle est directe, désireuse de faire don de soi et de partager sa bonne humeur, ses ouvrages, qui ont pris source à la naissance de sa fille, s’imposent à la sensibilité enfantine comme à celle des adultes : ses lectures en séance de Pop-up Zoo et de Où est le loup ? nous ont touchés en nous faisant entrer au cœur de boîtes-livres devenues maisons partagées.
Certains d’entre nous ont eu le plaisir de découvrir les œuvres graphiques de Nathalie INFANTE lors de leur exposition à l’Hôtel-de-Ville de Paris en décembre 2019. Ainsi nous avons vu le regard poétique qu’elle porte sur les villes, Paris, Royan, New-York. De la légèreté, de la vivacité et une sorte d’allégresse inventent des promenades où l’on côtoie des animaux, des plantes et toutes sortes de gens, vivants, heureux ; un univers très personnel où l’on détecte des détails subtils qui interrogent doucement : arbres-fleurs, feuilles-oiseaux, lunes octogonales …
Nathalie INFANTE nous a révélé des secrets ce jeudi 8 octobre 2020. Le premier, c’est qu’elle n’est pas une autrice de littérature-jeunesse. Elle n’écrit de textes ni n’illustre de livres à destination d’aucune tranche d’âge. Ce qu’elle produit, elle le fait pour elle-même, au gré de son inventivité, comme une éternelle enfant. Ensuite, si elle parvient à se relire comme on se lit, elle obtient la preuve que les enfants pourront le faire aussi, quel que soit leur niveau de vocabulaire. Elle nous confie donc que sauf pour des commandes – comme le récit « Rendez- vous à New-York » de Thierry DANCOURT, qu’elle a édité et illustré (Marie-Louise éditions) – elle invente le texte à partir de l’image, ou plutôt des couleurs qu’elle insère entre les tracés de ses dessins, au moyen de sa palette graphique.
Comme dans une aquarelle, les couleurs se mettent alors à infuser en elle, et cela peut prendre des semaines ou des mois. Puis les mots, le sujet, émergent de ces surfaces trempées et, pour ainsi dire, en découlent. Un moi profond décide du sujet, de l’histoire et des images qui vont la conter. Des fourmis, des chats, des souris , des éléphants même, s’élancent. Des ambiances se créent, de la fantaisie circule, le monde se destructure et inaugure des moments de fête. Il faut que ça circule, que ça bouge, que ça soit animé ; et Nathalie tâte d’ailleurs un peu de la technique de l’animation. N’est-elle pas une profonde admiratrice de Walt DISNEY, de Cyril PEDROSA, de Pierre LE TAN, de Miroslav SASEK ?
Et il y a toujours le trait, très présent, très structuré, armature qui borde, gère, solidifie l’incroyable. Le monde fantastique ne porte jamais ici à une distorsion du réel. Il est cadré par un crayon solide. Nathalie INFANTE a intégré la leçon d’un Bernard BUFFET, et elle navigue, telle Jean-Henri FABRE dans ses Souvenirs entomologiques, entre sa passion du réel exact et sa fascination pour l’inimaginable. Se référant à Edward HOPPER, elle invite le lecteur à entrer dans un halo de mystère pour se retrouver lui-même en un reflet intérieur.
Avec un texte et des images ainsi posés, on peut, au milieu d’enfants, s’adonner au plaisir de lire à voix haute, de commenter ou d’adapter librement. Une promesse de bonheur et d’espoir en la vie est proposée par l’album ; l’enfant peut s’appuyer sur elle, laisser libre cours à son imagination, poser les questions qui le font grandir, et entrer dans le dialogue.
*Editions Marie-Louise
Pour notre bibliothèque associative, nous avons acquis
Vus depuis le balcon d’un appartement douillet, les chats des rues semblent bien s’amuser. Pacha rêve de les rejoindre. À lui la liberté, les horizons sans limite, l’aventure… Mais l’existence au grand air n’est pas de tout repos. Notre ami apprendra vite qu’une vie de chat peut tourner… à une vraie vie de chien ! Et il lui faudra se montrer très malin et courageux pour triompher de mille difficultés.
Charlotte Mollet nous a d’abord évoqué son histoire personnelle, terreau de son devenir professionnel et artistique de graveure.
Au début des années 90, maman de deux enfants, elle a eu à cœur de combiner son désir de création, profondément ancré en elle, à celui d’accompagner à la lecture son fils et sa fille sa fille(porteuse d’une trisomie-21). L’objectif étant de développer l’autonomie en proposant des textes lisibles et des images parlantes.
Charlotte nous a parlé d’une dizaine de ses ouvrages, sur la trentaine de sa bibliographie, sans parler de ses œuvres d’artiste.
Il s’agit essentiellement de contes ou de comptines, le genre qui lui importe le plus car toute la vie y est logée, avec son cortège de dangers, de violences, de souffrances, de joies et de bonheurs.
Une souris verte (Didier Jeunesse, 1993 ; collection Pirouette) :
cet album traité en papiers découpés a connu un très grand succès (prix Sorcières 1994) ; c’est une oeuvre qui ne vieillit pas… peut-être parce qu’elle véhicule l’idée de la « renaissance ».
Le billet bleu (Rouergue, 1995),
un premier titre signé avec Anne Agopian, a été réalisé à l’acrylique sur acétate. Un album inspiré par la figure du Petit Prince, celle qui apparaissait sur le très poétique billet de 50 francs à l’effigie de Saint-Exupéry. C’est l’histoire d’un billet qui, passant de main en main, finit par se transformer en livre.
Navratil (Rouergue, 1998)
est l’histoire d’un rescapé du Titanic, écrite et illustrée à l’instigation de l’auteur et illustrateur/graveur Olivier Douzou. Charlotte Mollet n’a pas choisi le sujet mais le traiter, c’est pour elle le faire sien, par adoption.
Avant d’être un bébé (Rouergue, 2004)
illustre un texte d’Hughes Paris, un pédopsychiatre. Il raconte l’origine du monde vivant, parle des identités, de l’originalité de chaque être au sein même de sa propre culture.
Triso-Mike (Thierry Magnier, 2005) a suivi :
Une petite fille raconte l’histoire de son voisin qu’elle appelle Mike parce qu’elle a entendu dire qu’il était trisomique. Mike ne sort jamais seul de chez lui car il a peur. Un jour, la petite fille lui prête son doudou pour qu’il gagne en confiance et en autonomie. [Source Electre]
La Chevelure (Complexe, 2006)
illustre un texte de Guy de Maupassant.
Catsou (Rouergue, 2008),
qui a été co-signé, « écrit à quatre mains », avec Bénédicte BRUNET, une amie, réalisatrice de films et grande amatrice de chats, est une véritable histoire.
Trop fort ! (Les petites vagues, 2008) :
à nouveau, le doudou sera plus fort que les monstres, les fantômes.
Avec Loup y es-tu ? (Didier Jeunesse, 2009),
Charlotte a commencé la longue aventure de la série Pirouette, grâce à sa rencontre avec Michèle MOREAU.
Bleu d’amour (Bilboquet-Valvert, 2010)
est un livre signé de Carl Norac, qui avait envie de gâter sa fille de 11 ans.
Jean Petit qui danse(Didier Jeunesse, 2011),
a été inspiré par les Géants de Flandre. Ce conte, qui trouve sa source dans une histoire abominablement cruelle, est devenu l’accompagnement de toutes les réjouissances du nord de la France. Transmutation, alchimie.
Les textes qui plaisent à Charlotte Mollet, ce sont les contes et les comptines. Car ils enferment l’histoire du monde, où se pressent la vie, la mort, le danger, indissociables. Ils sont le support idéal pour avancer dans la compréhension et pour se situer. Ils font un clin d’œil aux enfants qui souffrent en silence. Et pour l’animation du public enfantin, ils sont l’outil idéal, car ils se chantent, se dansent, se transmettent.
Les Contes et légendes créoles (Magellan, 2024)
font partie d’une collection initiée par les éditions Flyes. Ils embarquent dans l’imaginaire désiré par Galina Kabakova.
Car la gravure sied aux légendes et aux rêves.
Le Chat botté, par Gustave Doré
Charlotte nous a lu en entier un ouvrage qui lui est particulièrement cher :
Le Chat (Rouergue, 2017),
gravure sur bois, réalisé avec Olivier Douzou, et inspiré d’un conte vietnamien.
La xylogravure,
qui met en œuvre le plein, le vide et les aplats, et qui se travaille debout, convient à ses facultés visuelles et à ses goûts sensoriels : gravure sur bois ou autre matériau souple et tendre, comme le linoleum, car ces matières se creusent et se caressent, à la différence des métaux, qui, avant la caresse, s’attaquent, se rongent.
Charlotte fait glisser de la douceur et de la sensualité dans ses créations. Elle sent l’encre monter et diffuser, le papier mat et d’un blanc chaud lui est agréable au toucher, les couleurs flattent le toucher comme la vue. « On ne sent pas qu’avec les yeux. Tout participe. »
Et tout en tirant devant nous une planche sur le thème des « terrasses de café », elle nous a parlé de son travail.
Par exemple une variation telle l’acrylique grattée sur acétate.
On peut aussi travailler sur deux matrices, par exemple un papier japonais se superposant à un ou deux autres aussi légers, quasi transparents.
Ces unions-rencontres ouvrent des portes vers l’autre, l’inconnu, d’où arrive une création originale d’autant plus vivante qu’elle est le fruit d’un dialogue.
Mais attention à la virtuosité telle un piège. Charlotte nous dit que « La forme parfaite peut manquer d’humanité. Il devient nécessaire parfois de se détacher, déconstruire, se mettre à dessiner de la main gauche pour préserver l’authenticité, la sincérité. »
Elle nous recommande d’aller visiter l’Atelier du Livre d’art et de l’Estampe de l’Imprimerie nationale, près de Douai. https://atelier-du-livre-art-imprimerienationale.fr/
Les enfants sont très réceptifs dans les ateliers scolaires de gravure car ils s’approprient vite leur production. Ils sont sensibles aux effets de surprise que provoquent l’inversion des tracés et l’échappée de l’encre dans des vides qui au final produisent des pleins.
Le travail de l’artiste n’est pas simple, car outre les lenteurs de la conception et de la création des images, il faut entrer dans le tréfonds de l’histoire et, parfois, mener des recherches savantes préalables.
Cependant, la gravure traditionnelle, qui exige de la patience et de l’obstination, reste un métier de puriste, destiné à un public au regard travaillé. Il est donc nécessaire pour Charlotte Mollet de la rendre populaire, visible. Elle a donc choisi de pratiquer dans des résidences non-dédiées ou dans des ateliers destinés à un public non-averti, par exemple dans le tiers-lieu qu’est le Café-Jeux Natema, rue des Orteaux (Paris, 20ème) :
Pour préserver l’avenir, elle a transmis des originaux, croquis, matrices à des médiathèques parisiennes (Marguerite Duras, spécialisée dans les livres d’artistes, Françoise-Sagan) et aussi à la BNF, pour qu’ils restent en vie et disponibles.
Pour elle, la vie c’est la créativité, la fantaisie, se savoir unique et être ensemble. C’est une vie risquée, peu enviée des gens dits « normaux ». Mais, dit-elle avec un clin d’œil, «ceux-ci ne sont-ils pas finalement un peu…inquiétants ?»
Est-ce l’effet des images profondes ou celui d’une présentation simple et touchante ? Nous avons trouvé dans tous ces albums de la finesse, de la sensibilité et de la générosité.
Que Charlotte Mollet soit remerciée pour son authenticité et pour son message humaniste.
L’album que nous avons acquis pour notre bibliothèque associative est
Catsou est une petite boule de poils tout roux, un chat que toute la famille a adopté, même s’il adore ses espaces de liberté. Quand on déménage en ville, Catsou perd sa joie de vivre et il faut décider de le rendre aux anciens voisins et à leur jardin… Un album sur l’apprentissage de l’indépendance et du bonheur (notice de l’éditeur).