Catégorie : Retour sur une Rencontre

Nos retours sur une rencontre avec un pro de la littérature jeunesse (autrement appelés « retours sur image »)

Retour sur une rencontre avec Malika DORAY le 1er avril 2025

Le cheminement de Malika DORAY vers le livre jeunesse a été sinueux. Après des études d’histoire et d’ethnologie et une année passée en Angleterre elle souhaitait  devenir scénographe d’expositions. Logiquement, elle est entrée à l’Ecole nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art (Olivier de Serres). Mais là elle a connu les difficultés de quelqu’un qui a envie d’apprendre à dessiner dans une école qui enseigne à des dessinateurs déjà accomplis. Surmontant sa déception, elle retirera de l’expérience des compétences solides en matière de conception de projets. Et, plus tard, dans son for intérieur, elle comprendra un peu ce que peuvent ressentir des enfants en échec scolaire. 

Fille d’un psychanalyste et psychiatre, elle se souvient que son père appréciait et citait avec autant de sérieux Marx ou Freud ou Janosch, le célèbre auteur-illustrateur allemand :

Travaillant auprès de tout-petits pour des activités d’éveil, elle se lance dans des créations diverses, et elle, qui ne sait pas dessiner les humains, qui n’est pas du tout « Beaux-Arts », qui ne connait pas grand-chose à la couleur, va utiliser le peu de de vocabulaire graphique qu’elle connaît pour illustrer des textes aux formulations mélodiques, souvent répétitives comme un chapelet de formules réconfortantes.

 « Je t’aime même quand je ne suis pas là »

Elle nous lit  Je t’aime tous les jours, qui en 2006 fut son troisième album:

L’enfant tout-petit est le moteur et le partenaire  de son travail. Car elle observe les petits lecteurs, qui interviennent sur l’objet, en ouvrant un livre de telle façon, en manipulant un tapis ou un doudou chacun à sa manière. Ainsi les enfants sont-ils, pour ainsi-dire, les co-créateurs d’une œuvre partagée.

SES TECHNIQUES, SES GOUTS, SON STYLE.

On discerne « les arts appliqués » dans sa façon de dessiner avec une expressivité qui vient du traitement de la forme et non des aplats, de la couleur ou de la perspective. Il y a une certaine virtuosité à créer un album au moyen de 8 faces de cubes ! A déployer des tas de bisous en mélangeant la tendresse et la mathématique ! A créer des ribambelles où chaque animal est à la fois pareil (la même forme) et différent de son voisin ! 

Pour elle, une image, c’est une dose d’émotion, une dose de couleur, une dose de calcul.

C’est un plaisir incroyable  pour elle de jouer avec les motifs. Quand à force de répétition, comme, dit-elle, « un hamster dans sa roue », elle a trouvé le motif qui lui convient, de façon inattendue, c’est un vrai plaisir de le répliquer à l’infini.

Souvent, elle intègre, par collage ou copie, des imprimés chinois récupérés de la marque Petit Pan. Pourquoi ce choix ? Pas de réponse. De toute façon, le plaisir de faire s’impose à elle plus que l’introspection.

Elle se fait quasiment l’instrument des capacités motrices du petit enfant, d’où les sinuosités des contours, les répétitions, l’épaisseur d’un trait qui cerne et donne forme. Elle se fait vectrice de l’imaginaire enfantin.

Les textes, toujours très doux, sont écrits en même temps que les images sont dessinées. Elle parle d’une « rondeur texte-image » qui correspond à l’univers qu’on attribue souvent aux tout-petits. 

Et donc elle crée des albums, des tapis, des doudous,  qui sont les incarnations tangibles de ses rêves. Elle aime le beau papier épais des éditions MeMo qui protège des aléas des manipulations.

A-t-elle DES INTENTIONS, un projet ?

L’envie soutenue de partager une vision du monde est évidente, mais cela ne constitue pas un projet d’écriture ou d‘illustration. Elle raconte avec humour qu’après qu’elle eut écrit un album sur la naissance, puis un sur le mariage, un éditeur lui a demandé d’en faire un sur le divorce ! Proposition vivement rejetée, avant de s’apercevoir que tous ses albums ou presque parlent de séparation.

En réalité, pour créer quelque chose, il faut qu’elle ressente une poussée intérieure, quasiment inexplicable, de l’ordre d’une éclosion. Et elle a cette phrase tellement vraie: « Les tout-petits ont une part active dans le devenir du monde actuel,  ils participent à faire grandir le monde qui nous attend », phrase qui fait écho à celle de Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. »

Les  livres qu’elle nous a désignés comme importants à ses yeux recèlent des intentions humanistes.

Le premier cité, c’est Doris (2024), sur un texte de Coline IRWIN, une cousine, elle-même plasticienne et éducatrice de jeunes enfants.

Doris raconte le quotidien d’une dame fort âgée. Ce sujet sensible, inspirant, captive les jeunes lecteurs. Malika nous livre une anecdote bien représentative de ce qui peut arriver dans des séances de lectures. Comme Doris, cette vieille dame, tricote pour donner de quoi se vêtir à des migrants, un enfant de 4 ans s’est soudain levé pour crier : « Elle a pas le droit ! » D’où s’ensuivit un échange nécessaire et intéressant entre la médiatrice du livre et l’enfant.

Ensuite, Malika nous a présenté Ma mère est une panthère (2023).

Le premier album dans lequel elle a recommencé à dessiner des humains, qui cette fois lui plaisent. Dans ce livre, Malika aborde l’idée que les deux parents doivent assumer chacun l’entièreté des tâches d’éducation, protection, travaux ménagers, etc, au lieu de se les répartir de façon genrée.

Puis elle nous a montré Dans ce monde (2016) :

Un petit lapin nous offre un joli conte métaphorique, en passant par les différentes étapes de découvertes et d’apprentissages qui le mèneront à l’autonomie et le rendront bienfaisant pour le monde.

Et puis elle a montré Ce livre-là (2007),

qui est un pop-up à la gloire de la lecture, contenant l’évocation de onze sortes de livres, un pour rigoler, l’autre pour avoir peur, un troisième pour s’endormir, etc, etc.

et Chez les Ours (2011),

deux livres en un qui permettent au lecteur d’intervertir textes et images, de sorte que l’enfant « se crée » des saynètes étonnantes, parfois désopilantes.

Enfin, elle nous a parlé des livres d’éveil qui ont été retenus par divers départements comme des « albums de naissance »  et offerts aux jeunes parents :

Quand ils ont su (2012, offert par le Val-de-Marne),

Un câlin (2014, offert par le Lot et la Savoie),

Dans la montagne (2020, offert par l’Isère),

Pour conclure, Malika nous a montré

qui est assorti d’un jeu :

https://media.ecoledesloisirs.fr/show-bonus-jeu.php?id_bonus=17

Cet album concrétise  tous les ressorts  de sa démarche originale d’autrice-illustratrice : tirer parti de son expérience personnelle, prendre un vif plaisir au jeu des images et des mots, adorer les surprises, sortir de son confort et risquer l’autonomie. Au final, toute une création qui est un véritable éloge de l’enfance et un chemin de vie inspirant.

Nous remercions vivement Malika d’avoir partagé avec nous son expérience, ses techniques et pratiques, ses espoirs, ses idéaux et sa profonde conviction que la vie vaut d’être vécue.

Pour notre bibliothèque associative, nous avons acquis :

Le Grand Voyage des petites souris (L’école des loisirs, 2018)

Deux soeurs souris vont faire un grand voyage en laissant leur frère, pas du tout féru d’aventures, à la maison. Elles découvrent paysages et animaux magnifiques tandis que leur frère reste confortablement chez lui, jusqu’au jour où elles lui disent qu’elles vont découvrir un endroit secret…

Retour sur une rencontre avec les éditions CEPAGES le 13 mars 2025

C’est avec clarté et une belle détermination que Bénédicte Petitot, assistée de sa collaboratrice Léa Gerst, nous a présenté la maison d’éditions indépendante qu’elle a créée en 2012 à Paris, rue Mouffetard, et qu’elle dirige depuis.

Littéraire de formation, et plutôt portée sur le théâtre, Bénédicte s’est d’abord mise en quête de livres destinés à l’éducation de ses propres enfants ; puis elle s’est prise de passion pour la littérature jeunesse au point de vouloir en faire un métier. Une fois, sous le nom de Bénédicte Prats, elle a écrit un album, Le dessin de Tamana, illustré par Bertrand Dubois (notre invité en 2022 ). Par ailleurs, elle écrit des chansons, des comptines ou des contes.

L’indépendance est un défi : c’est faire ses propres choix éditoriaux : éditer des albums originaux, esthétiques, qui donnent envie du beau, du vrai, du poétique et qui transmettent le respect des autres, de la différence et de la nature. Editer, c’est faire vivre un catalogue (une soixantaine de titres à ce jour), c’est rechercher et lancer des jeunes talents : 50% du catalogue sont des premiers albums d’écrivains ou d’artistes. D’où ce souffle frais qui parcourt tous les titres.

Ce sont des engagements : ses ouvrages sont fabriqués en France à 85 %, le reste en Europe. Les techniques de fabrication sont le plus souvent traditionnelles, parfois mixtes. Les illustrateurs travaillent à la main pour leurs dessins, leurs collages, leurs peintures.

Il y a aussi chez Cépages une volonté de mettre en avant des cultures moins connues (celles de la Mauritanie, du Guatemala, de l’Afghanistan… Et d’ailleurs, de plus en plus, Cépages évolue de la fiction vers le documentaire, par exemple en intégrant des capsules informatives.

Circulons donc dans les cinq collections exposées

La collection Vert d’o :

Autrice : Catherine Laurent, une écrivaine qui a vécu 20 ans en Nouvelle-Calédonie,

Illustratrice : Bénédicte Nemo, diplômée des Arts décoratifs de Paris, née à Dakar.

Ces 7 titres pour les tout-petits ont pour vocation de  sensibiliser à la nature,  à sa protection et notamment à celle des espèces menacées.

En voici 3 exemples :

La collection Tendres feuilles, en 6 titres :

Destinée à des enfants un peu plus grands, elle se veut toute en douceur, avec ses aquarelles légères et subtiles, qui se détachent à peine d’un blanc lumineux ; avec ses collages qui occupent l’œil et la main.

Car il faut embarquer le lecteur avec prudence et délicatesse dans des albums dont les thèmes sont sensibles et parfois même épineux. 

Ainsi,   Près de mon cœur traite du cycle de la vie et ose le parallèle entre l’histoire d’une forêt et la vie d’un homme. Cœur d’artichaut parle de l’éveil des sentiments amoureux. Chrysalide met le doigt sur la troublante magie de la naissance.

Célestin, à coups de traits humoristiques, guide l’enfant vers l’acceptation des personnes dites différentes, parfois autistes. Petit radeau ouvre à la question de la solitude et des liens qui sont nécessaires pour vivre. Vieux Jules (Prix Chronos 2021 mention France-Alzheimer) favorise l’acceptation de la maladie dégénérative.

Les approches sont systématiquement métaphoriques, poétiques, enveloppantes. Elles fournissent aux lecteurs adultes, dans un contexte de lecture transgénérationnelle, des occasions d’ouvrir le dialogue sur des sujets essentiels et difficiles.

           La Collection Racines du monde, en 5 titres :

Destinée au plus de 6 ans, ces albums sont tous inspirés d’histoires vraies et illustrés par de bons connaisseurs des régions concernées. Ils sont touchants d’authenticité. Guatemala, Mauritanie, Tibet, Afghanistan : mêmes combats pour l’instruction, l’autonomie, la liberté.

           La Collection Racines du monde, en 5 titres :

Destinée au plus de 6 ans, ces albums sont tous inspirés d’histoires vraies et illustrés par de bons connaisseurs des régions concernées. Ils sont touchants d’authenticité. Guatemala, Mauritanie, Tibet, Afghanistan : mêmes combats pour l’instruction, l’autonomie, la liberté.

La collection Mes Docs:

Cette collection débutante ne contient qu’un seul titre :

Il peut être lu dès 7 ans, puis à tout âge…

L’idée est de sensibiliser aux thèmes grâce à un contenu de haut niveau artistique et culturel et grâce à des mises en pages ajustées; ici l’album construit à la verticale est découpé à bords francs pour évoquer la matérialité des constructions réelles.

Après Les Tours  viendront Les Murs

Bénédicte et Léa nous ont ensuite présenté leurs  coups de cœur :

Thèmes percutants, illustrations magistrales, c’est le secret de ces albums qui traitent souvent des rapports tissés au sein de la famille.

Les pieds sous la table,

C’est tout un pan de la vie familiale qui s’ouvre à hauteur d’enfants, les univers parallèles des adultes et des enfants, les conflits des grands et comment on fait pour s’en échapper par les rêves.

Chez Nonna,

Un vrai cauchemar au début puisque l’enfant est écrasé dans la presse à graver de sa grand-mère ! Heureusement cela vire à la félicité avec une réconciliation, porteuse d’un avenir serein.

Le grand Orchestre,

est un album de Marion Traoré, une autrice-illustratrice qui vit à Bobo-Dioulasso et travaille à partir de papiers découpés. C’est l’histoire merveilleuse d’une petite fille qui réussit à vaincre sa solitude grâce aux conseils de sa grand-mère et aux instruments de musique africains qui sont les vecteurs des éléments naturels. Album sélectionné en 2025  pour le prix des P’tits loups (de l’Essonne).

Dans tes bras,

de Marion Traoré aussi,

fait la part belle aux précieuses rêveries de tendresse  qui font glisser dans l’ensommeillement.

Paratou, un parapluie en brousse, et, Konoba, le cerf-volant :

invitent les enfants au respect des objets et à l’intérêt de les réparer. Au-delà ces albums racontent que « les objets inanimés  ont une âme ».

Il y a aussi Emile et Félix et Monsieur Chat :

albums dans lequel Stéphanie Demasse-Pottier parle de l’adoption et du souci du paraître, un thème rarement abordé.

Les titres-phares des éditions Cépages :

Bénédicte nous a cité :

Rouge Feuille  (Prix Graines de lecteurs 2018), sur le thème de l’amitié, dont le travail graphique est un des plus soignés et qui est un mix de vraies feuilles, d’aquarelles et de dessins.

Il y a aussi Le bleu du ciel, de Maylis Daufresne et Teresa Arroyo,

qui raconte comment une petite fille, conversant avec les éléments naturels, le ciel, la mer, le vent, le soleil, l’arbre, la nuit, finit par se trouver une place dans le monde. Un album qui a été sélectionné parmi les 100 plus beaux à Bologne en 2023.

Superbe aussi, Voltige (2022)

qui traite, métaphoriquement, du drame des migrants mal accueillis.

Très soigné et agréable à voir, dans la lignée des albums de Béatrix Potter (Pierre Lapin, 1902 ; Jeannot Lapin, 1904), Le cadeau d’Hugo (2018) est un joli univers où les images entrainent comme dans un film.

Maryam et Maroussia (2020), sur un texte de la romancière Anne Marie Desplat-Duc (série Les Colombes du Roi-Soleil), parle d’écologie et de solidarité tout autour de la Terre.

La peintre Elsa Oriol, à la brosse et au couteau, a illustré

Je ne t’abandonnerai jamais (2022) ,

un album très touchant qui parle de peur, de sentiment d’abandon et aussi de la force vive des arbres salvateurs.

Et dans les Nouveautés:

La Disparition (2023)

un cherche-et-trouve qui emmène les enfants à la recherche d’animaux perdus dans une jungle malmenée. Claire Hannicq, une plasticienne, réalise ici son premier album jeunesse, dessiné à l’aide de seulement 3 crayons de couleurs.

Partout au bout du monde   (2024)

est aussi le premier album d’une autrice-illustratrice sur le thème de l’effort en commun, « Partout » étant l’ordre donné aux rameurs pour lancer le bateau. Ici aussi, quel beau travail à la main !

A paraître au printemps 2025:

L’enterrement de Papigène,

ou comment conjurer la mort des êtres chers, peut-être en découvrant quelle a été leur vie et « y prenant de la graine ».

La rivière qui chante,

évoquera les jeux de l’enfance, l’éveil des sens, la fraîcheur et la poésie de ces moments ineffables.

Cette présentation et les nombreux échanges qui ont suivi avec les adhérents nous ont donné l’image d’une éditrice volontaire, enthousiaste et habitée par un sens des responsabilités vis-à-vis des jeunes lecteurs, des médiateurs qui font vivre ces albums et des jeunes talents auxquels elle fait appel. Nous remercions vivement Bénédice Petitot pour son exposé et les conseils avisés qu’elle nous a, en filigrane, dispensés. Merci également à Léa Gerst. Avec de tels albums, les lecteurs et les parents ont de quoi faire s’ancrer l’amour de la lecture dans la tête des jeunes enfants.

Pour notre bibliothèque associative, nous avons acquis L’ile des Rouges

Auteur : Olivier Dupin

Illustratrice : Marjorie Beal

Monsieur Paul part en vacances. Destination : l’île des Rouges ! Mais quel drôle d’endroit ! Les habitants n’ont pas le droit de faire ci, pas le droit de faire ça…

pourquoi toutes ces règles étranges ?

Retour sur une rencontre avec Chloé du COLOMBIER le 16 février 2025

Des éléments biographiques que Chloé nous a dévoilés, Il y a bien sûr sa carrière antérieure de graphiste free-lance, qui lui a donné une vraie maîtrise des outils professionnels et des contraintes éditoriales.

Mais on retiendra aussi l’évocation de ses ascendants impliqués dans les sciences de la vie : le grand-père médecin passionné par la faune entomologique et la phytothérapie, la grand-mère professeure de biologie, l’oncle chercheur en agronomie. Tous aimaient la science, le jeu et la poésie, et c’est par ces trois entrées que Chloé a voulu développer son exposé. L’approche ludique lui vient de son père, et l’angle poétique, voire mystique, de sa mère.

Trois entrées que nous pouvons retrouver sur son portfolio en ligne : https://www.chloeducolombier.fr/

La science, ou du moins le vivant, s’invitent en effet toujours dans ses créations : c’est un émerveillement perpétuel, et elle l’a bien transcrit dans ses collections Eveil nature et A l’abri (Ed. Ricochet).

Elle aime par-dessus tout le lien avec les végétaux,

Après avoir assuré la conception graphique de 2 collections de livres d’art jeunesse de Marie Sellier – notre invitée en 2013 – elle a utilisé cette même compétence dans sa collection de livres-objets A l’abri des arbres.

En parallèle elle a cité comme remarquable l’album Cerisier,  d’Amandine Laprun :

Bien sûr, elle adore aussi les animaux, surtout les petits, les phasmes, les papillons, les fourmis, les coccinelles… Avant de les dessiner, elle se documente précisément sur eux, s’immerge dans leur existence, scrute leurs désirs, leurs défis, leur amour obstiné de la vie.

Ses couvertures sont  jolies, poétiques,

Mais Chloé a une prédilection pour les détails réalistes, tels que pattes de sauterelles, moustiques, dégustations de miellat… tous détails qui, selon l’éditeur, ne s’insèrent pas forcément très bien dans une couverture. Alors Chloé les intègre à l’intérieur de l’album ou en 4ème de couverture.

Car elle pense que l’enfant a intérêt à être confronté au réel ; le tout-petit n’a pas besoin d’être « protégé » contre le dur, le rugueux, on peut lui faire toucher une écorce, une pomme de pin, un objet râpeux. Son idée est que la littérature jeunesse, si elle doit être précautionneuse vis-à-vis des jeunes lecteurs, ne doit pas  maquiller la réalité ni s’en abstraire.

Cette affection pour le réel ne l’empêche pas d’inventer une nature purement rêvée.

Voici l’exemple d’une conception de couverture :

Quand elle a commencé à imaginer celle des « P’tits escargots », elle s’est d’abord immergée dans sa propre sensorialité, pour faire émerger ses propres ressentis ; elle a pensé fortement à la pluie, à un potager, à la terre mouillée, à un garçon qui va à la chasse aux escargots. Elle a voulu montrer cet enfant en couverture. Mais cette initiative a été retoquée par l’éditrice. Le projet de Chloé a donc évolué : de l’idée d’un escargot dévoreur de chou, elle est passée à l’idée des garçons qui naissent dans les choux, puis à celle des filles qui naissent dans les roses, puis à celle des escargots qui sont hermaphrodites et enfin s’est dessiné un escargot qui promène son bébé sur son dos.

Les dessins préparatoires, les crayonnés, ce que Chloé nomme les « dessins d’idées », sont la phase solitaire. La suite se fait en équipe avec l’autrice et l’éditrice, dans le cadre d’une forte collaboration et d’un élan commun.

Le jeu, l’invention, la découverte, la sensorialité sont des tremplins vers l’imaginaire.

La lecture à l’enfant comme celle de l’enfant lui-même doivent s’inscrire, selon elle, dans un contexte de jeu. Car celui-ci est un outil efficace pour la transmission et il fait de ces lectures des moments précieux et structurants. « Le jeu crée des ponts entre le réel et l’imaginaire ».

On peut s’amuser de tant de choses :  des expériences des coccinelles,

des métamorphoses des chenilles et papillons,

et même des relations entre les prédateurs et leurs proies !

(Le P’tit Océan)

Dans les albums, l’enfant retrouve son vécu et imagine son avenir. Le livre est la maison idéale où l’on peut tout vivre à l’abri, passé, présent, avenir.

Au médiateur-lecteur de pousser l’avantage en créant pour la séance une atmosphère spéciale, par exemple en faisant écouter en arrière-plan des chants d’oiseaux ou des bruits de la nature. Chloé a même utilisé la musique de Saint-Saens pour mettre l’ambiance autour du P’tit Océan:

Les loisirs créatifs sont un univers qui lui plait ; ainsi a-t-elle créé chez Poppik des vignettes en gommettes repositionnables pour les tout-petits.

Pour la revue suisse Salamandre, elle a créé ce cherche-et-trouve :

Avec Elisabeth Brami ( notre invitée en 2012 ) , elle a inventé un imagier de mots à mimer :

Pour la série des Contes à déplier, elle a illustré Hansel et Gretel. Elle s’est amusée à y introduire plein de ces éléments drôles qui cartonnent chez les enfants : escargot à tête de mort, petites araignées rouges, lapins bleus et roses, millepertuis (plante qui soigne la dépression….). Pour illustrer un tel conte, elle a choisi la carte de l’humour, qui permet à l’enfant de prendre du recul et de s’immerger bien protégé dans une aventure passablement cauchemardesque.

Du jeu à la poésie, il n’y a que l’espace d’un clin d’œil.

Pour Chloé, la poésie est nécessaire  et elle constate un regain poétique dans la période actuelle.

Pour faire rêver, on peut jouer sur les couleurs de la nature, comme dans ce recueil, illustré à la gouache, dont les cinq contes se déroulent dans des continents différents :

(Ici la Bulgarie pour le continent Europe)

En résidence, on peut créer des ateliers d’illustration sur le thème « A quoi rêvent les plantes ? » On peut faire fabriquer aux enfants des colliers de protection faits d’images enfilées.

On peut recueillir les expressions poétiques qui sortent inopinément de la bouche des enfants. Comme celle-ci, à la suite d’une explication sur les graines qui s’envolent pour aller germer tout autour de la Terre :

Merci, le vent ! 

On peut consigner les ressentis racontés des très jeunes enfants, ces éléments matriciels fondateurs des personnalités futures et dont le souvenir sera précieux pour les parents.

Faire éclore la poésie au quotidien, c’est une entreprise qui va bien à Chloé du Colombier. Cela procure des impulsions, de l’entrain, une joie de vivre.

https://www.instagram.com/chloeducolombier/reel/DDfGWRhiPQG/?hl=fr

Pour conclure,

Chloé a signalé son dernier album, créé avec Emmanuelle Grundmann, biologiste et naturaliste :

Que ce soit pour se protéger du danger ou pour préparer un précieux cocon et accueillir leurs petits, les animaux sont d’incroyables architectes! (Note de l’éditeur Ricochet)

Puis elle a évoqué les merveilleux bijoux-étuis d’Hubert Duprat, créés grâce au travail remarquable des larves de trichoptères…

Avant de s’écarter pour les dédicaces, elle a voulu remercier tous les lecteurs de Lire et faire lire, et elle a cité l’anthropologue Michèle Petit :

« Le passeur par son enthousiasme, son regard ou ses gestes rend le livre vivant ; il sait que le contact avec le texte ne passe pas que par l’intellect mais aussi par les émotions et les sens. » 

Enthousiaste, passionnée, à l’écoute de la nature et de tout ce qui est naturel, Chloé du Colombier nous aura bien fait comprendre l’intérêt de son projet profond, qui est fait d’expérimentation, de transmission, de sensibilisation, et qui a pour finalité de contribuer à protéger le vivant qui est autour de nous et, plus que partout, dans les jeunes cerveaux. Nous la remercions pour sa communication et pour les échanges fructueux qu’elle a engendrés.

L’album que nous avons acquis pour notre bibliothèque associative est Hansel et Gretel.

Un livre-objet avec cinq doubles-pages qui s’ouvrent par le haut pour s’immerger pleinement dans l’histoire.

Hansel et Gretel cherchaient leur chemin, lorsqu’ils tombèrent sur une drôle de maison en pain d’épices…   Dépliez les pages pour plonger au coeur du conte et découvrir la suite de l’histoire, tout en rebondissements et surprises!
« Suivez Hansel et Gretel dans la forêt enchantée, découvrez la maison en pain d’épice et rencontrez la terrible sorcière…


Titre recommandé par l’Éducation nationale pour le cycle 2 de l’école primaire 

Retour sur une rencontre avec Emmanuelle HALGAND le 16 janvier 2025

Emmanuelle HALGAND a très rapidement capté l’écoute des adhérents de Lire95 grâce à la clarté et à la pertinence de ses propos. Soucieuse de répondre aussi bien que possible aux besoins des lecteurs bénévoles de Lire et faire lire, elle a axé son exposé sur les éléments utiles de son parcours et de sa technique et elle a dispensé des conseils aux lecteurs bénévoles, en tant que spécialiste de l’image et professionnelle de la médiation.

Elle nous a d’abord exposé son parcours personnel, celui d’une petite fille qui a quitté l’Algérie à l’âge de l’école élémentaire, en emportant avec elle un trésor très personnel, cadeau de sa maîtresse : HULUL, d’Arnold Lobel, qui sera pour la vie son talisman et son catalyseur émotionnel.

Une petite fille qui sera très mal reçue en métropole et devra passer par des épreuves scolaires humiliantes, traumatisantes, heureusement surmontées.

Une jeune fille qui se nourrira de la culture de ses parents basée sur les rapports à la nature et au travail.

Une lycéenne qui ne rencontrera que tardivement  la culture des bibliothèques, des musées, du cinéma, des spectacles.

Une jeune femme qui, grâce à un livre et à toute la science transmise par l’école, deviendra une adepte de la culture et de la transmission.

Une femme qui travaillera dans la médiation culturelle et, après des études d’histoire de l’art,  obtiendra son doctorat (en 2024) sur le thème :  » L’image dans la médiation de l’album jeunesse iconotextuel », thèse qui s’appuie sur l’étude de 500 albums.

Le besoin d’écrire, de transmettre est venu, et en 2015, il s’est concrétisé sous la forme du Voyage des éléphants, publié chez Magellan :

C’est Marc Wiltz, l’éditeur, qui a ensuite confié à Emmanuelle la collection des P’tits Magellan.

Marc Wiltz, qui est venu nous voir le 7 novembre 2019 :

https://lire95.fr/retour-sur-une-rencontre-avec-marc-wiltz-et-francois-xavier-freland-le-7-novembre-2019/

Quelque 30 albums ont suivi. Tous ont été dessinés, mais tous n’ont pas été écrits. La création prend du temps, à raison de 3 ou 4 ouvrages par an.

L’imaginaire s’appuie sur des aspects sombres ou clairs de l’autobiographie : le regret, le manque, l’exclusion, et l’espoir, qui les domine, les transcende par la force de la volonté et de la certitude.

Nous avons demandé à Emmanuelle de nous lire un des textes qu’elle a écrits ; elle a choisi cet album :

Cœurs battants, l’un contre l’autre, roulés-boulés, caresses

Elle a voulu créer une douce musicalité à l’intention des tout-petits d’une crèche. Ses mots sont sélectionnés, expressifs et nobles.

La technique principale d’Emmanuelle HALGAND illustratrice est basée, ce qui surprend souvent, sur l’usage – virtuose – de Photoshop, avec des créations épurées. Des dessins personnels numérisés complètent au besoin.

A la suite, Emmanuelle Halgand a dispensé ses conseils aux lecteurs bénévoles en attirant leur attention sur la nature des images et leur pouvoir émotionnel, qu’elles soient redondantes, disjonctives ou complémentaires.

Toutes font que l’enfant pénètre dans le monde du réel de la fiction et vive une expérience vraie, nécessaire, indispensable.

Emmanuelle conseille de « savoir s’arrêter sur les images, regarder ce qui s’y passe, surtout quand il y a dans l’image un élément complémentaire fort. Il faut prendre le temps sans avoir peur de « perdre » l’écoutant ». 

Elle insiste sur la structure du récit fictionnel, qui repose sur trois temps forts : un démarrage avec un nœud, un problème, une attente, ce qui va générer toute une période d’attente et de rebondissements, puis une période de  résolution.

Emmanuelle montre  l’importance de la couverture d’un album. Avec cet exemple:

Déjà, sous nos yeux, une histoire démarre…

Autre exemple : cette couverture qui ne raconte pas, mais invite, avec son cadrage gros plan et ce regard insistant 

Emmanuelle prête beaucoup d’attention aux couleurs ; elle use par exemple de coloris pastel pour soutenir les paisibles moments du récit, comme elle peut soudain faire exploser la page de couleurs franches qui tapent dans l’œil du lecteur et lui communique leurs vibrations.

Elle conseille au lecteur de s’intéresser au positionnement des personnages dans la double page, et elle nous livre un petit secret de fabrication :

Comme notre œil va de gauche à droite, l’illustrateur situe à gauche ou regardant vers la gauche les personnages en difficulté, tandis que les personnages situés ou regardant à droite sont ceux qui vont dans le sens de la lecture et donc dans la bonne direction.

Ainsi,  dans La lumière de Bouchka : la petite fille est en difficulté ; au début de l’histoire, le profil de celle-ci est orienté à rebours de la lecture ; et par la suite il sera retourné dans le sens de la lecture quand les ennuis de l’héroïne auront cessé.

Le lecteur, sachant tout cela et qu’il peut décortiquer ou non l’album avant de le lire aux enfants, a le choix : soit pratiquer une lecture naïve, pleine d’une émotion partagée avec le ou les enfants et qui emporte les participants côte à côte dans le monde de l’imaginaire ; soit pratiquer une lecture plus experte qui permet de mieux faire valoir le texte et les images tout en se prêtant émotionnellement au jeu.

Dans tous les cas, Emmanuelle Halgand est partisane d’une lecture décomplexée, théâtralisée, enjouée, ouverte aux réactions, aux commentaires, et débouchant sur un dialogue adulte-enfants.

Elle recommande au lecteur-adulte d’avoir près de soi un petit objet médiateur, un petit chat en tissu par exemple, à la fois outil de lecture et présence magique.

Pour conclure, Emmanuelle nous a montré la maison qu’elle a conçue pour l’animation de ses résidences auprès des enfants. Nous irons voir ce qui se trouve sur son site :

https://www.instagram.com/emmanuellehalgand

Passionnée par la littérature jeunesse, généreuse, pédagogue, Emmanuelle Halgand nous a laissé en mémoire l’image d’une personne déterminée, toujours en recherche, et celle d’une alliée du mouvement Lire et faire lire.

Pour  notre bibliothèque associative, nous avons choisi le Chamolivres :

Depuis de nombreuses années, Laila, accompagnée de son chameau Timur, apporte des livres aux enfants des yourtes qui vivent au beau milieu du désert. Cette nuit-là, la tempête se lève…

Nous remercions chaleureusement Emmanuelle Halgand pour son intervention et lui disons à bientôt en d’autres lieux d’échange et de partage.