Auteur/autrice : Agnès

Les secrets de Nathalie Infante

Certains d’entre nous ont eu le plaisir de découvrir les œuvres graphiques de Nathalie Infante lors de leur exposition à l’Hôtel-de-Ville de Paris en décembre 2019. Ainsi nous avons vu le regard poétique qu’elle porte sur les villes, Paris, Royan, New-York. De la légèreté, de la vivacité et une sorte d’allégresse inventent des promenades où l’on côtoie des animaux, des plantes et toutes sortes de gens, vivants, heureux ; un univers très personnel où l’on détecte des détails subtils qui interrogent doucement : arbres-fleurs, feuilles-oiseaux, lunes octogonales…

Nathalie Infante nous a révélé des secrets ce jeudi 8 octobre 2020. Le premier, c’est qu’elle n’est pas une autrice de littérature-jeunesse. Elle n’écrit de textes ni n’illustre de livres à destination d’aucune tranche d’âge. Ce qu’elle produit, elle le fait pour elle-même, au gré de son inventivité, comme une éternelle enfant. Ensuite, si elle parvient à se relire comme on se lit, elle obtient la preuve que les enfants pourront le faire aussi, quel que soit leur niveau de vocabulaire. Elle nous confie donc que sauf pour des commandes – comme le récit « Rendez- vous à New-York » de Thierry Dancourt, qu’elle a édité* et illustré – elle invente le texte à partir de l’image, ou plutôt des couleurs qu’elle insère entre les tracés de ses dessins, au moyen de sa palette graphique.

Comme dans une aquarelle, les couleurs se mettent alors à infuser en elle, et cela peut prendre des semaines ou des mois. Puis les mots, le sujet, émergent de ces surfaces trempées et, pour ainsi dire, en découlent. Un moi profond décide du sujet, de l’histoire et des images qui vont la conter. Des fourmis, des chats, des souris , des éléphants même, s’élancent. Des ambiances se créent, de la fantaisie circule, le monde se destructure et inaugure des moments de fête. Il faut que ça circule, que ça bouge, que ça soit animé ; et Nathalie tâte d’ailleurs un peu de la technique de l’animation. N’est-elle pas une profonde admiratrice de Walt Disney, de Cyril Pedrosa, de Pierre Le Tan, de Miroslav Sasek ?

Et il y a toujours le trait, très présent, très structuré, armature qui borde, gère, solidifie l’incroyable. Le monde fantastique ne porte jamais ici à une distorsion du réel. Il est cadré par un crayon solide. Nathalie Infante a intégré la leçon d’un Bernard Buffet, et elle navigue, telle Jean-Henri Fabre dans ses Souvenirs entomologiques, entre sa passion du réel exact et sa fascination pour l’inimaginable. Se référant à Edward Hopper, elle invite le lecteur à entrer dans un halo de mystère pour se retrouver lui-même en un reflet intérieur.

Avec un texte et des images ainsi posés, on peut, au milieu d’enfants, s’adonner au plaisir de lire à voix haute, de commenter ou d’adapter librement. Une promesse de bonheur et d’espoir en la vie est proposée par l’album ; l’enfant peut s’appuyer sur elle, laisser libre cours à son imagination, poser les questions qui le font grandir, et entrer dans le dialogue.

*Editions Marie-Louise

Les mots clés du travail de Nathalie : bestiaire / élégance / poésie / villes / joies /
comportement humain / nature / différence / tolérance / amitié / amour

Chen Hiang Jong : un artiste invité par Lire 95

RENCONTRE DU 15 OCTOBRE 2020 AVEC CHEN HIANG JONG

C’est en ami que Chen vient à notre rencontre, pour nous remercier d’accompagner ses livres, et pour que se partagent nos curiosités et nos expériences si diverses.

Son enfance

Il revient sur l’enfant qu’il fut, doté d’une détermination sans faille, d’une parfaite capacité d’apprentissage et d’un besoin irrépressible de dessiner sans relâche du matin au soir, 365 jours par an… Versant lumineux : l’amour intense de sa mère et de ses grands-parents, l’adrénaline du travail, et, au plus profond,  une force assimilée, venue de nulle part, véritable cadeau du Ciel. Comme chez Victor Hugo, « une force qui va ».

Malgré obstacles et inquiétudes maternelles, et en échange d’un travail en usine de deux ans, le brillant élève intègre  les Beaux-Arts de Tien-Tsin, puis de Pékin (1984). Un échange universitaire l’amène à Paris. Il peint, expose*, gagne sa vie. Il rencontre Zao Wou-Ki et Zhu Xiao-Mei**. Puis il débute sa carrière d’illustrateur sur un texte de Lisa Bresner*** et d’auteur-illustrateur avec La légende du cerf-volant(1997). Il fallait écrire pour répondre à une forte pression interne, exprimer le tourment et la joie de qui  s’est séparé d’une mère, la Chine, pour en trouver une autre, la France.

Tous ses personnages vont alors fonctionner selon un schéma personnel : enfants sans parents, mais doués de force, qui traversent des difficultés et déplacent des montagnes. L’historique prend la main en dépit d’intentions initiales plus aimables et distrayantes. Et avec les années, c’est de plus en plus fort, avec ce sentiment d’être mû par un Destin, une spiritualité. « C’est une magie ».  

Quel sens à tout cela ?

« Il faut montrer la beauté, la force, les couleurs, les valeurs de la vie, prendre  cette liberté de donner tout cela aux enfants. C’est aussi vivre « une mission de transmission et de témoignage ».Car en racontant une histoire à un enfant, on l’enracine dans sa culture, et dans la culture du monde en général.  « Quand on a ça, on existe ; on peut construire quelque chose pour les autres, cela donne un sens à sa vie. »

Et la Chine ?

En dehors des commandes qu’il reçoit, notamment pour illustrer des contes de divers pays et dans lesquelles il s’investit avec bonheur en se documentant et en voyageant, c’est vers la Chine qu’il se tourne spontanément pour puiser son inspiration. Exactement la Chine ancienne, continent culturel aujourd’hui détruit et dont il faut préserver les racines, au risque-même de le sublimer. Chen fait voyager les enfants au cœur des vieilles légendes, comme celle du Prince Tigre ou celle du Cheval magique de Han-Gan, afin de les ré-enraciner dans le terreau fertile que sont les enfants de tous pays. 

Ecoutons à nouveau :

https://youtu.be/DoruQQ2-KDI

Art ou technique ?

Chen récuse le terme d’art pour ses illustrations et préfère celui d’artisanat. Ses images sont figuratives, documentées, quasi scientifiques. Il s’agit de montrer le vrai, on a horreur du vraisemblable, de la cuisine des chinoiseries.

« Chaque page est un tableau, chaque tableau est un livre ». L’enfant se complaira dans les détails, les taches qui révèlent un monde, les trois traits qui sont un univers. En cet enfant un espace de vie s’insinuera, meublant le vide, avec le noir, qui balance avec le blanc, ying et yang, le rouge, couleur de la fête, et toutes les autres couleurs qu’on aime sans savoir pourquoi. Un cadeau du Ciel renouvelé…

La  philosophie d’un franco-chinois :

Apprendre des autres tout en restant soi-même et en respectant le grand pays qui vous a adopté. Opter pour le multiculturel. Ne rien oublier. Mais « peindre le blanc », passer dans une autre dimension. Admettre qu’il existe des forces supérieures positives qui nous orientent. Rester curieux et dans l’émerveillement.

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Notes

        *  Galerie Taménaga, du 9 au 29 octobre 2020 ; 18 avenue Matignon, Paris 8ème .

** Zhu Xiao-Mei : cette pianiste internationale a publié La rivière et son secret (Des camps de Mao à Jean-Sébastien Bach, l’itinéraire d’une femme d’exception). 

*** Lisa Bresner : écrivaine et sinologue ; a publié Foming et le trésor des mers, Père Castor/Flammarion, 1999 ; Le Bouvier et la Tisserande, École des Loisirs, 2000 ; Un cheval blanc n’est pas un cheval, L’Ecole des Loisirs, 2001.

Du bidouillage inventif et de la bonne humeur !

Martine Perrin, architecte de livres, venue nous rendre visite le 8 octobre 2019

Merci Martine !

Martine Perrin, à notre surprise, s’est présentée comme une architecte et non comme une illustratrice, une graphiste ou une autrice. Pour elle, les livres sont travaillés comme des architectures, des objets de design, des portes, des façades. Ainsi, un trou dans un livre est-il une fenêtre, un personnage de pop-up est-il un habitant. Son travail, conceptuel et de façonnage, est marqué par la rigueur de l’urbaniste et du géomètre. Son inventivité, qu’elle nomme « bidouillage », et qui part en effet dans toutes les directions, s’affranchit des canons de l’esthétique et de la thématique. Elle garde la haute main sur son livre, impose ses vues pour la disposition des éléments textuels ou imagés. Et comme Martine Perrin est douée d’humour et de verve, comme elle est franche et désireuse de faire partager sa bonne humeur, ses ouvrages s’imposent à la sensibilité enfantine comme à celle des adultes : ses lectures de Pop-up Zoo et de Mais où est le loup ? nous ont touchés en nous faisant entrer au cœur d’une boîte-livre devenant maison partagée.

Les mots clé du travail de Martine : rigueur / détermination / créativité / pas de ligne / thématique / franchise / plaisir du partage / goût pour le « bidouillage inventif » / bonne humeur  / don de soi / livres d’éveil / livres à trous / motivation : sa fille